Par Corinne Momal-Vanian & Itonde Kakoma
Nous vivons en temps de guerre. Et nous semblons nous y résigner. Le nombre des conflits armés est plus élevé qu'à n'importe quel moment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[1] et les dépenses mondiales en matière de défense ont progressé pour la neuvième année consécutive en 2023, atteignant 2443 milliards de dollars.[2]
Les États donnent la priorité à la puissance militaire pour faire face à des dynamiques géopolitiques et sécuritaires instables, mais leurs efforts n'ont pas réussi à mettre fin aux conflit , qui font toujours plus de victimes civiles[3] : les combats au Darfour tuent ainsi plus aujourd’hui qu’il y a 20 ans et le taux de mortalité quotidien à Gaza dépasse celui de tout autre conflit majeur de ce siècle.[4]
Et pourtant, nous savons que la violence engendre de nouvelles formes de violence et alimente les cycles de conflit sur plusieurs générations. Le retour sur investissement d’approches axées sur la guerre ne compensera jamais leur coût incommensurable en termes de vies humaines et d’infrastructures.
Selon l’Indice mondial de la paix 2023, l’impact de la violence sur l’économie mondiale s’élevait à 17 500 milliards de dollars en 2022. Or, des recherches montrent que chaque dollar investi dans la consolidation de la paix ferait diminuer de 16 dollars le coût des conflits.[5] Si nous souhaitons réellement inverser les tendances actuelles, nous devons investir de toute urgence dans le maintien et l’expansion des efforts de rétablissement et de consolidation de la paix à un niveau qui n’a pas été tenté depuis des décennies.
Par « paix », nous n’entendons pas simplement l’absence de guerre. Pour nous, la paix requière que les relations sociales, économiques et politiques soient exemptes de violence et de coercion, permettant aux communautés d’envisager un avenir sans peur ni injustice, dans la sécurité et la dignité. Y parvenir demande des ressources, un travail acharné et une solide expertise.
Nous savons que les efforts pour parvenir à la paix peuvent réussir. Nous le voyons tous les jours. Mais ils ne peuvent réussir que si nous agissons au-delà du court terme et offrons aussi des solutions aux générations futures. Ce travail ne peut réussir que si tous les acteurs de paix unissent leurs forces et cessent de rivaliser pour l’obtention de ressources de plus en plus rares. Il ne peut réussir que si les femmes sont au centre de toutes les actions de paix et ont accès à la prise de décision, et si les jeunes peuvent concevoir leurs propres solutions à leurs problèmes.
Cette époque sans précédent exige des mesures sans précédent. Lorsque les chefs d’état se réuniront au Sommet de l’avenir à New York ce mois-ci, pour adopter un Pacte pour l’Avenir et une Déclaration sur les générations futures, il faudra qu’ils déclarent d’abord sans détour leur détermination à rétablir et renforcer le dialogue et la collaboration. Ils doivent s’engager à investir massivement dans la paix pour assurer la stabilité et la sécurité de leurs peuples.
Nous devons tenir nos dirigeants responsables de chaque vie perdue ou brisée à la guerre, de chaque école ou hôpital détruit, de chaque enfant affamé par les conflits. On entend trop de discours présentant la guerre comme inévitable. Il faut au contraire mettre en avant les nombreux succès passés et actuels d’actions pour la prévention des conflits, le rétablissement et la consolidation de la paix.
Sans paix, il n’y aura pas d’avenir, pas de futures générations, pas d’avenir pour la planète. Nous lançons un appel d’urgence pour la paix.
Cet article est paru dans Le Temps, en français, le 20 septembre 2024, sous la plume de Corinne Momal-Vanian et un Itonde Kakoma.
[1]With Highest Number of Violent Conflicts Since Second World War, United Nations Must Rethink Efforts to Achieve, Sustain Peace, Speakers Tell Security Council, United Nations, Meetings Coverage, Security Council 9250th Meeting, SC/15184, 26 January 2023
[2] https://www.sipri.org/media/press-release/2024/global-military-spending-surges-amid-war-rising-tensions-and-insecurity
[3] See in particular the Explosive Violence Monitor 2023, Action on Armed Violence.
[4] https://www.oxfam.org/en/press-releases/daily-death-rate-gaza-higher-any-other-major-21st-century-conflict-oxfam
[5] Measuring peacebuilding cost effectiveness, Institute for Economics and Peace, March 2017